- Anatomopathologie
Nous nous
sommes référés au travail de DUPARC (3) pour classer les lésions de
l'extrémité supérieure du tibia. Les travaux
américains font appel à la classification de SCHATZKER (11). La prédominance des
fractures du plateau tibial externe est due à un
mécanisme de compression-valgus, pour les piétons
renversés par des voitures. La fréquence moindre des
lésions ligamentaires, par rapport à la série de KOVAL
(7) (30%) , est expliquée par
le fait que notre série concerne surtout des personnes
âgées, chez qui l'os spongieux est moins résistant que
les structures ligamentaires.
- Indications et modalités de la chirurgie
-
L'indication d'une ostéosynthèse des fractures des
plateaux tibiaux est discutée, ainsi que la nécessité
de combler le vide métaphysaire après réduction et le
choix du matériau placé.
- Le traitement des fractures des plateaux tibiaux
reste controversé avec, pour certains, l'indication d'un
traitement par traction et mobilisation immédiate,
d'autres un traitement par plâtre . MULLER (10) a proposé en premier la
réduction et l'ostéosynthèse à ciel ouvert, technique
décriée par d'autres auteurs tel que DUWELLIS et
CONNOLLY (4) rapportant que les
résultats ne sont pas supérieurs et les complications
fréquentes. Ils recommandent alors une réduction par
manoeuvre externe et une fixation percutanée.
- Le comblement du défect métaphysaire :
LACHIEWICZ (8), dans une
série concernant 43 fractures des plateaux tibiaux
revues avec un recul de 2,7 ans rapporte qu'il n'y a pas
de relation statistique entre le type de fracture et le
résultat fonctionnel. Par contre, les affaissements
secondaires des plateaux avec mauvais résultat clinique
concernent les patients opérés sans comblement par
greffe. L'étude de WADDEL (14)
montre que la fixation interne associée à une greffe
donne des meilleurs résultats que l'une ou l'autre
procédure opératoire. SIMON, KEMPF et HAMMER (12), lors de la table ronde de la SOFCOT montrent que
la greffe cortico-spongieuse est la plus efficace, ne
donnant jamais de tassement secondaire, contrairement à
l'utilisation d'une greffe purement spongieuse ou d'un os
de Kiehl. VIELPEAU, LOCKER et SEITE (13),
lors de cette même table ronde, rapportent 22 cas de
fracture bitubérositaire des plateaux tibiaux, ayant
bénéficié d'une fixation interne, avec greffe
cortico-spongieuse dans 50% des cas montrant que si
celle-ci est le plus souvent nécessaire pour combler le
tassement situé sous le fragment, mais cela ne garantit
pas de façon absolue le maintien de la réduction, en
particulier quand persiste, sous la greffe, un vide
correspondant à la comminution métaphysaire. Ces
études illustrent le fait que le point important réside
dans le soutien mécanique de la portion cartilagineuse
enfoncée après relèvement et ne prouve pas le
caractère indispensable d'une autogreffe, d'où l'idée
d'employer un matériel de synthèse remplissant ce
cahier des charges et permettant d'éviter l'emploi d'une
greffe cortico-spongieuse, source d'une morbidité
supplémentaire. D'ailleurs, KOVAL (7),
dans sa mise au point, précise dans les fractures
enfoncements de type III de la classification de
SCHATZKER (11) (tassement
prédominant par rapport à la séparation) que le
rélèvement en masse du fragment enfoncé crée un
défect métaphysaire devant être comblé par ce qu'il
nomme, à bon escient, un "spacer" pour
prévenir le collapsus articulaire. Les substituts osseux
pourraient remplir convenablement cet office, en
supprimant la morbidité des prises de greffe iliaque.
Par ailleurs, la réduction ad integrum de l'enfoncement
ne doit pas obligatoirement constituer l'objectif
principal, comme le confirme les études suivantes :
KOVAL (7) rapporte dans sa mise
au point que beaucoup d'auteurs ne réduisent pas les
tassements inférieurs ou égaux à 1 cm, mais que tous
sont d'accord pour corriger une déviation frontale
supérieure ou égale à 10°. HONKONEN (6), à propos d'une série
rétrospective de 131 cas revus à 7,6 ans en moyenne, a
essayé de dégager des "facteurs de risque"
d'arthrose. Les chiffres sont en moyenne de 44% pour le
recul sus-cité. L'incidence augmente peu avec l'âge,
beaucoup avec la résection méniscale puisque les taux
passent de 37% lorsque le ménisque est intact ou
réparé à 74% lors d'une méniscectomie initiale. La
correction dans le plan frontal (discret valgus ou axe
normal) a une importance considérable, la meilleure
situation étant celle d'une bonne correction frontale
associée à une conservation méniscale. Paradoxalement,
la sévérité des désordres intra-articulaires est peu
corrélée avec le processus dégénératif, à condition
que le ménisque soit intact et/ou que cette marche
d'escalier intra-articulaire ne soit pas en zone
portante. Dans ces conditions, on peut penser que la
prise d'une greffe d'origine iliaque, source de
morbidité supplémentaire, n'est pas indispensable.
- Le choix de l'utilisation d'un
biomatériau :
Afin de combler le défect
métaphysaire après relèvement de l'enfoncement du
plateau tibial, on a le choix entre l'utilisation
exclusive ou la combinaison des matériaux suivants ;
autogreffe, allogreffe, et substituts osseux dont les
céramiques (5).
L'autogreffe a des propriétés très complètes. Elle
possède une matrice d'ostéoconduction permettant la
diffusion de facteurs de croissance, des agents
biochimiques moléculaires d'ostéo-induction, qui
agissent sur les différents stades de régénération
osseuse et de la réparation, des cellules de
l'ostéogenèse et permet la restauration morphologique.
Elle est d'origine iliaque le plus souvent car elle doit
être de nature cortico-spongieuse pour des raisons
mécaniques. Mais cela allonge la durée opératoire,
expose aux hémorragies, douleurs, impotence
fonctionnelle surajoutée et aux possibilités
d'hématome, d'infection et d'ossification secondaire.
Les allogreffes sont présentées fraîches,
congelées ou lyophilisées. Les propriétés
mécaniques, satisfaisantes, sont inférieures à celles
de l'allogreffe mais les propriétés d'ostéo-conduction
sont conservées pour la plupart, les propriétés
d'ostéo-induction maintenues en partie et les cellules
de l'ostéogenèse détruites. Les complications de
pseudarthrose sont de l'ordre de 10%, de fracture 5 à
15% et d'infection 10 à 15% dont font partie les
atteintes virales responsables des hépatites et du SIDA.
Cela pose un problème majeur en ce qui concerne leur
utilisation pratique, en raison des précautions
multiples, de la lourdeur de la réglementation et des
délais d'obtention.
La plupart des céramiques de phosphate de calcium
sont des composés de structure cristalline,
synthétisés en plusieurs étapes. Les cristaux obtenus
subissent un traitement thermique à haute température,
le frittage, qui les transforme en biocéramique. Elles
composées d'hydroxyapatite ou de phosphate tricalcique,
ou une composition des deux. Elles se présentent sous
forme de poudre, granules ou de blocs poreux ou non
poreux. La composition biochimique a une influence
fondamentale sur la résorption. Le phosphate tricalcique
plus poreux que l'hydroxyapatite se dégrade 10 à 20
fois plus vite. Cela dépend également de la
température du frittage et, selon la technique de
fabrication, le phosphate tricalcique est soit totalement
résorbé après quelques mois, soit après de nombreuses
années. Il se convertit partiellement dans l'organisme
en hydroxyapatite qui se dégrade, lui, plus lentement.
Le remodelage du phosphate tricalcique est meilleur que
celui de l'hydroxyapatite en raison de sa porosité mais
la résistance mécanique est moindre, donc
théoriquement moins indiquée lors des contraintes en
compression. D'autres facteurs, architecturaux, et la
température de frittage interviennent dans la
résistance. Les céramiques sont cassantes et on doit,
en théorie, éviter les contraintes en compression,
tension, cisaillement, torsion et flexion. Il faut
théoriquement les protéger par une stabilisation
chirurgicale rigide jusqu'à ce que l'os ait repoussé.
Ces matériaux sont également friables, empêchant leur
vissage dans notre série. La taille optimale des pores
semblant favoriser l'ostéo-induction, est de 150 à 500
micron cubes. Il n'y a pas eu d'observations rapportant
un effet de type inflammation (biocompatibilité) ou de
réaction à corps étrangers. Cependant des expériences
réalisées chez les rongeurs ont montré la formation de
réactions de type granulome giganto-cellulaire. Enfin,
on peut les utiliser sous forme de composite en
association avec de la moelle osseuse pour permettre
l'adjonction de cellules de l'ostéogenèse ou en
association avec une autogreffe de manière à en
augmenter son volume.
- Etude clinique :
La seule étude
clinique concernant l'utilisation des céramiques dans
les fractures des plateaux tibiaux est celle de BUCHOLZ (1) . Elle concerne 40 patients
ostéosynthésés, dont 20 ont bénéficié d'une
autogreffe corticospongieuse et 20 d'un bloc
d'hydroxyapatite. Le recul est de 15,4 mois pour les
greffes et de 34,5 mois pour l'hydroxyapatite. Les
conclusions sont les suivantes : les temps de
consolidation osseuse sont semblables, l'affaissement
secondaire est moindre pour le groupe concernant la mise
en place d'hydroxyapatite. La morbidité post-opératoire
concernant le genou est identique et on note l'absence de
signes inflammatoires en ce qui concerne la mise en place
de biomatériaux.
Dans notre série, les constatations sont semblables
concernant les délais de consolidation osseuse, la
stabilité du montage en particulier les affaissements
secondaires, et l'absence de morbidité mettant en avant
les propriétés de biocompatibilité. L'absence de
modifications du montage initial, dans les 18 cas revus
à 38 mois mettent en évidence les qualités mécaniques
de soutien. L'amorce de disparition radiologique
constatée au delà de la deuxième année permet le
maintien des propriétés mécaniques initiales pendant
la durée "utile", c'est à dire la
consolidation osseuse (3è mois) ; cependant la
différence de température de frittage des céramiques
que nous avons utilisées au début de notre expérience,
ne nous permet pas de tirer de conclusions actuellement
en ce qui concerne les délais de résorption. Par
ailleurs, la radiologie n'est pas un bon examen pour
apprécier l'importance de la résorption du matériau et
le degré de colonisation osseuse. C'est pour cela que
BUCHOLZ (1) a réalisé des
biopsies, dans sa série, concernant le site
d'implantation de l'hydroxyapatite. Pour 7 cas étudiés,
et des reculs allant de 11 à 17 mois, la répartition
entre os, tissus non ossifié, et matériel cristallin a
été d'un tiers respectivement.
- Propriétés des céramiques de phosphate
tricalcique :
La stérilisation par rayonnement
gamma, et la stockabilité sont aisées.
Les propriétés d'ajustabilité sont
satisfaisantes ; la présentation sous forme de coin
permet d'encastrer aisément le matériau dans le défect
métaphysaire. Le bloc est facile à découper afin
d'adapter l'implant, par contre la friabilité empêche
son vissage direct.
La fonctionnalité est suffisante ; la
résistance mécanique est satisfaisante, s'opposant dans
notre série à un enfoncement secondaire du plateau
tibial relevé. Dans deux cas, nous n'avons même pas
réalisé d'ostéosynthèse, avec un bon résultat
morphologique et clinique, montrant ainsi que la
stabilisation interne rigide n'est pas toujours
nécessaire pour pallier à la faible résistance
théorique de ces céramiques.
Quant à l'ostéoconduction, c'est à dire la
possibilité de canaliser la croissance osseuse au
travers de l'implant, elle est en cours d'évaluation, au
fur et à mesure de nos ablations de matériel.
Top
Conclusion
En conclusion, et sous réserve d'une étude plus
large, les céramiques de phosphate tricalcique, grâce
à leurs remarquables propriétés biologiques
apparaissent comme un substitut osseux de choix dans le
comblement des défects osseux métaphysaires
post-traumatiques.
Dr C.Cazeau, Pr
L.Doursounian. Unité d'Orthopédie - Traumatologie .
Hôtel-Dieu. Place du
Parvis Notre Dame. 75004. Paris
Bibliographie