Les indications opératoires des fractures des plateaux tibiaux sont motivées par les enfoncements et les séparations, entraînant une incongruence articulaire et par les défauts d'axe jambier essentiellement dans le plan frontal.
L'intervention consiste à restaurer l'architecture épiphysaire, tout en respectant l'axe épiphyso-diaphysaire. La réduction du plateau tibial par relèvement laisse un vide osseux qu'il est nécessaire de combler pour la stabilité ultérieure. Divers matériaux ont été utilisés à cet effet : les autogreffes, les allogreffes, le méthyl-métacrylate et les substituts osseux.
Le but de notre étude est d'évaluer l'intérêt de la mise en place de céramique de phosphate tricalcique dans les défects métaphysaires des fractures des plateaux tibiaux.
Nous avons utilisé chez 20 patients opérés de fractures déplacées du plateau tibial, des coins de céramiques de phosphate tricalcique afin de combler le défect osseux métaphysaires tibial. 18 ont pu être suivis avec un recul moyen de 35 mois (24 à 60 mois) . Les deux autres patients ont été perdus de vue. Il s'agissait de 11 hommes et de 7 femmes dont l'âge moyen était de 55 ans (20 à 83 ans). Le traumatisme était dans 10 cas un accident de la voie publique (piéton renversé par un véhicule) et dans 8 cas une chute.
Le bilan radiologique a comporté un cliché du genou de face et de profil montrant une atteinte unitubérositaire externe dans 16 cas et interne dans un cas. L'atteinte était bitubérositaire dans 1 cas. Dans les 18 cas la lésion osseuse était mixte . Une seule lésion ligamentaire associée était mise en évidence, en l'occurrence une rupture du ligament latéral interne.
Les mesures radiologiques, en post-opératoire immédiat et au dernier recul, ont porté sur l'importance de l'enfoncement, calculées en millimètre, de face et profil. La déviation frontale fémoro-tibiale diaphysaire (en l'absence de grands axes) l'angle tibial externe formé par la droite unissant le bord supérieur des deux plateaux et l'axe diaphysaire du tibia. La pente diaphysaire des plateaux tibiaux a été appréciée selon les mesures de MOORE et HARVEY (9) représentant l'obliquité des plateaux par rapport à la perpendiculaire d'une ligne parallèle à la crête tibiale antérieure sous la tubérosité tibiale antérieure ; la normale étant de 14 +/- 3,6°.
La technique chirurgicale est stéréotypée. Après ouverture de l'écaille corticale et relèvement du plateau, un ou deux coins de céramiques de phosphate tricalcique sont encastrés dans le tissu spongieux pour constituer un étai sous-chondral. La fracture a été ostéosynthésée dans 16 cas, 5 fois par vissage simple et 11 fois par plaque vissée. Les coins de substituts osseux sont disponibles en deux dimensions, d'une hauteur de 18 mm pour une base de 10 X 12 mm ou de 8 X 10 mm. (CALCIRESORBR - CERAVER OSTEAL). Les patients ont été immobilisés pendant 3 à 4 semaines et dans tous les cas la reprise de l'appui ne se fait pas avant 10 semaines.
A 35 mois, le résultat clinique était le suivant : quelques douleurs climatiques étaient présentes chez 16 patients et 2 patients étaient strictement indolores. La mobilité moyenne était de 0-130°, les genoux tous stables, et le périmètre de marche toujours supérieur à 6 km. Les suites immédiates ont été simples sauf dans un cas marqué par un syndrome algodystrophique. Le résultat radiologique obtenu en comparant les clichés post-opératoires aux clichés à deux ans n'a mis en évidence aucune modification du montage initial et en particulier aucun enfoncement secondaire. En effet, le valgus fémoro-tibial diaphysaire moyen post-opératoire était de 8,1° contre 7,8° à deux ans pour une normale de 6 à 8°; l'angle tibial externe moyen post-opératoire était à 85° pour une valeur de 84,8° au dernier recul ; la pente postérieure, égale à 14,8° contre 14° à 2 ans ; enfin, l'enfoncement résiduel moyen stable à 2 mm après 35 mois. Le comportement des coins de céramiques de phosphate tricalcique a été marqué par l'absence de migration dans tous les cas et par une résorption observable qu'au delà de la deuxième année, et incomplète dans la plupart des cas à 35 mois.
Nous nous sommes référés au travail de DUPARC (3) pour classer les lésions de l'extrémité supérieure du tibia. Les travaux américains font appel à la classification de SCHATZKER (11). La prédominance des fractures du plateau tibial externe est due à un mécanisme de compression-valgus, pour les piétons renversés par des voitures. La fréquence moindre des lésions ligamentaires, par rapport à la série de KOVAL (7) (30%) , est expliquée par le fait que notre série concerne surtout des personnes âgées, chez qui l'os spongieux est moins résistant que les structures ligamentaires.
- L'indication d'une ostéosynthèse des fractures des plateaux tibiaux est discutée, ainsi que la nécessité de combler le vide métaphysaire après réduction et le choix du matériau placé.
- Le traitement des fractures des plateaux tibiaux reste controversé avec, pour certains, l'indication d'un traitement par traction et mobilisation immédiate, d'autres un traitement par plâtre . MULLER (10) a proposé en premier la réduction et l'ostéosynthèse à ciel ouvert, technique décriée par d'autres auteurs tel que DUWELLIS et CONNOLLY (4) rapportant que les résultats ne sont pas supérieurs et les complications fréquentes. Ils recommandent alors une réduction par manoeuvre externe et une fixation percutanée.
- Le comblement du défect métaphysaire :
LACHIEWICZ (8), dans une série concernant 43 fractures des plateaux tibiaux revues avec un recul de 2,7 ans rapporte qu'il n'y a pas de relation statistique entre le type de fracture et le résultat fonctionnel. Par contre, les affaissements secondaires des plateaux avec mauvais résultat clinique concernent les patients opérés sans comblement par greffe. L'étude de WADDEL (14) montre que la fixation interne associée à une greffe donne des meilleurs résultats que l'une ou l'autre procédure opératoire. SIMON, KEMPF et HAMMER (12), lors de la table ronde de la SOFCOT montrent que la greffe cortico-spongieuse est la plus efficace, ne donnant jamais de tassement secondaire, contrairement à l'utilisation d'une greffe purement spongieuse ou d'un os de Kiehl. VIELPEAU, LOCKER et SEITE (13), lors de cette même table ronde, rapportent 22 cas de fracture bitubérositaire des plateaux tibiaux, ayant bénéficié d'une fixation interne, avec greffe cortico-spongieuse dans 50% des cas montrant que si celle-ci est le plus souvent nécessaire pour combler le tassement situé sous le fragment, mais cela ne garantit pas de façon absolue le maintien de la réduction, en particulier quand persiste, sous la greffe, un vide correspondant à la comminution métaphysaire. Ces études illustrent le fait que le point important réside dans le soutien mécanique de la portion cartilagineuse enfoncée après relèvement et ne prouve pas le caractère indispensable d'une autogreffe, d'où l'idée d'employer un matériel de synthèse remplissant ce cahier des charges et permettant d'éviter l'emploi d'une greffe cortico-spongieuse, source d'une morbidité supplémentaire. D'ailleurs, KOVAL (7), dans sa mise au point, précise dans les fractures enfoncements de type III de la classification de SCHATZKER (11) (tassement prédominant par rapport à la séparation) que le rélèvement en masse du fragment enfoncé crée un défect métaphysaire devant être comblé par ce qu'il nomme, à bon escient, un "spacer" pour prévenir le collapsus articulaire. Les substituts osseux pourraient remplir convenablement cet office, en supprimant la morbidité des prises de greffe iliaque. Par ailleurs, la réduction ad integrum de l'enfoncement ne doit pas obligatoirement constituer l'objectif principal, comme le confirme les études suivantes : KOVAL (7) rapporte dans sa mise au point que beaucoup d'auteurs ne réduisent pas les tassements inférieurs ou égaux à 1 cm, mais que tous sont d'accord pour corriger une déviation frontale supérieure ou égale à 10°. HONKONEN (6), à propos d'une série rétrospective de 131 cas revus à 7,6 ans en moyenne, a essayé de dégager des "facteurs de risque" d'arthrose. Les chiffres sont en moyenne de 44% pour le recul sus-cité. L'incidence augmente peu avec l'âge, beaucoup avec la résection méniscale puisque les taux passent de 37% lorsque le ménisque est intact ou réparé à 74% lors d'une méniscectomie initiale. La correction dans le plan frontal (discret valgus ou axe normal) a une importance considérable, la meilleure situation étant celle d'une bonne correction frontale associée à une conservation méniscale. Paradoxalement, la sévérité des désordres intra-articulaires est peu corrélée avec le processus dégénératif, à condition que le ménisque soit intact et/ou que cette marche d'escalier intra-articulaire ne soit pas en zone portante. Dans ces conditions, on peut penser que la prise d'une greffe d'origine iliaque, source de morbidité supplémentaire, n'est pas indispensable.
Afin de combler le défect métaphysaire après relèvement de l'enfoncement du plateau tibial, on a le choix entre l'utilisation exclusive ou la combinaison des matériaux suivants ; autogreffe, allogreffe, et substituts osseux dont les céramiques (5).
L'autogreffe a des propriétés très complètes. Elle possède une matrice d'ostéoconduction permettant la diffusion de facteurs de croissance, des agents biochimiques moléculaires d'ostéo-induction, qui agissent sur les différents stades de régénération osseuse et de la réparation, des cellules de l'ostéogenèse et permet la restauration morphologique. Elle est d'origine iliaque le plus souvent car elle doit être de nature cortico-spongieuse pour des raisons mécaniques. Mais cela allonge la durée opératoire, expose aux hémorragies, douleurs, impotence fonctionnelle surajoutée et aux possibilités d'hématome, d'infection et d'ossification secondaire.
Les allogreffes sont présentées fraîches, congelées ou lyophilisées. Les propriétés mécaniques, satisfaisantes, sont inférieures à celles de l'allogreffe mais les propriétés d'ostéo-conduction sont conservées pour la plupart, les propriétés d'ostéo-induction maintenues en partie et les cellules de l'ostéogenèse détruites. Les complications de pseudarthrose sont de l'ordre de 10%, de fracture 5 à 15% et d'infection 10 à 15% dont font partie les atteintes virales responsables des hépatites et du SIDA. Cela pose un problème majeur en ce qui concerne leur utilisation pratique, en raison des précautions multiples, de la lourdeur de la réglementation et des délais d'obtention.
La plupart des céramiques de phosphate de calcium sont des composés de structure cristalline, synthétisés en plusieurs étapes. Les cristaux obtenus subissent un traitement thermique à haute température, le frittage, qui les transforme en biocéramique. Elles composées d'hydroxyapatite ou de phosphate tricalcique, ou une composition des deux. Elles se présentent sous forme de poudre, granules ou de blocs poreux ou non poreux. La composition biochimique a une influence fondamentale sur la résorption. Le phosphate tricalcique plus poreux que l'hydroxyapatite se dégrade 10 à 20 fois plus vite. Cela dépend également de la température du frittage et, selon la technique de fabrication, le phosphate tricalcique est soit totalement résorbé après quelques mois, soit après de nombreuses années. Il se convertit partiellement dans l'organisme en hydroxyapatite qui se dégrade, lui, plus lentement. Le remodelage du phosphate tricalcique est meilleur que celui de l'hydroxyapatite en raison de sa porosité mais la résistance mécanique est moindre, donc théoriquement moins indiquée lors des contraintes en compression. D'autres facteurs, architecturaux, et la température de frittage interviennent dans la résistance. Les céramiques sont cassantes et on doit, en théorie, éviter les contraintes en compression, tension, cisaillement, torsion et flexion. Il faut théoriquement les protéger par une stabilisation chirurgicale rigide jusqu'à ce que l'os ait repoussé. Ces matériaux sont également friables, empêchant leur vissage dans notre série. La taille optimale des pores semblant favoriser l'ostéo-induction, est de 150 à 500 micron cubes. Il n'y a pas eu d'observations rapportant un effet de type inflammation (biocompatibilité) ou de réaction à corps étrangers. Cependant des expériences réalisées chez les rongeurs ont montré la formation de réactions de type granulome giganto-cellulaire. Enfin, on peut les utiliser sous forme de composite en association avec de la moelle osseuse pour permettre l'adjonction de cellules de l'ostéogenèse ou en association avec une autogreffe de manière à en augmenter son volume.
La seule étude clinique concernant l'utilisation des céramiques dans les fractures des plateaux tibiaux est celle de BUCHOLZ (1) . Elle concerne 40 patients ostéosynthésés, dont 20 ont bénéficié d'une autogreffe corticospongieuse et 20 d'un bloc d'hydroxyapatite. Le recul est de 15,4 mois pour les greffes et de 34,5 mois pour l'hydroxyapatite. Les conclusions sont les suivantes : les temps de consolidation osseuse sont semblables, l'affaissement secondaire est moindre pour le groupe concernant la mise en place d'hydroxyapatite. La morbidité post-opératoire concernant le genou est identique et on note l'absence de signes inflammatoires en ce qui concerne la mise en place de biomatériaux.
Dans notre série, les constatations sont semblables concernant les délais de consolidation osseuse, la stabilité du montage en particulier les affaissements secondaires, et l'absence de morbidité mettant en avant les propriétés de biocompatibilité. L'absence de modifications du montage initial, dans les 18 cas revus à 38 mois mettent en évidence les qualités mécaniques de soutien. L'amorce de disparition radiologique constatée au delà de la deuxième année permet le maintien des propriétés mécaniques initiales pendant la durée "utile", c'est à dire la consolidation osseuse (3è mois) ; cependant la différence de température de frittage des céramiques que nous avons utilisées au début de notre expérience, ne nous permet pas de tirer de conclusions actuellement en ce qui concerne les délais de résorption. Par ailleurs, la radiologie n'est pas un bon examen pour apprécier l'importance de la résorption du matériau et le degré de colonisation osseuse. C'est pour cela que BUCHOLZ (1) a réalisé des biopsies, dans sa série, concernant le site d'implantation de l'hydroxyapatite. Pour 7 cas étudiés, et des reculs allant de 11 à 17 mois, la répartition entre os, tissus non ossifié, et matériel cristallin a été d'un tiers respectivement.
La stérilisation par rayonnement gamma, et la stockabilité sont aisées.
Les propriétés d'ajustabilité sont satisfaisantes ; la présentation sous forme de coin permet d'encastrer aisément le matériau dans le défect métaphysaire. Le bloc est facile à découper afin d'adapter l'implant, par contre la friabilité empêche son vissage direct.
La fonctionnalité est suffisante ; la résistance mécanique est satisfaisante, s'opposant dans notre série à un enfoncement secondaire du plateau tibial relevé. Dans deux cas, nous n'avons même pas réalisé d'ostéosynthèse, avec un bon résultat morphologique et clinique, montrant ainsi que la stabilisation interne rigide n'est pas toujours nécessaire pour pallier à la faible résistance théorique de ces céramiques.
Quant à l'ostéoconduction, c'est à dire la possibilité de canaliser la croissance osseuse au travers de l'implant, elle est en cours d'évaluation, au fur et à mesure de nos ablations de matériel.
En conclusion, et sous réserve d'une étude plus large, les céramiques de phosphate tricalcique, grâce à leurs remarquables propriétés biologiques apparaissent comme un substitut osseux de choix dans le comblement des défects osseux métaphysaires post-traumatiques.
Dr C.Cazeau, Pr L.Doursounian. Unité d'Orthopédie - Traumatologie .
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